Magnifique !
Quelle fresque époustouflante que ce Paris autour du 4 mai 1897, date de l'incendie du Bazar de la Charité si prisé par ces Dames de la haute société soit pour y tenir un comptoir soit pour s'y faire voir.
Quelle plume flamboyante qui en quelques traits nous plonge dans l'horreur la plus noire où le courage et l'abnégation des uns côtoient la lâcheté et l'ignominie des autres.
Quelle société que ce monde aristocratique où la sécheresse de cœur semble une vertu, où la liberté des femmes se déploie dans une hypocrisie bienfaisante et bien pensante, où la religion cache une ivresse de pouvoir et de vengeance, où la médecine même s'allie à l'Homme pour briser en toute impunité les plus fragiles.
Quelle personnage enfin que la Duchesse d'Alençon, enfant sauvage et ivre de liberté comme sa sœur Sissi, qui sera sa vie durant emprisonnée dans le carcan de la Société, dont la lumière intérieure sera étouffée par cette médecine si particulière des aliénistes et qui ne pourra alors retrouver un semblant de vie que dans un dévouement excessif et quasi morbide aux personnes les plus pauvres, les plus malades, les plus contagieuses…
Un roman où l'amour transcende les plus grandes bassesses, les pires méchancetés, l'intolérance et le mépris.
Un roman d'une grande humanité où l'Histoire se retrouve au fil des pages dans ces coupures de journaux qui pendant les semaines qui ont suivi l'incendie ont maintenu Paris et une grande partie de l'aristocratie de l'époque en grand deuil.
« Si ces vertueuses dames patronnesses ne visaient pas à panser les plaies d'une société foncièrement inégalitaire, elles s'employaient à en apaiser les convulsions et à faire accepter aux pauvres l'injustice de leur destin. »
« Elles jaillirent comme accouchées par les flammes, deux formes titubantes et dansantes, flambant dans leurs vêtements, hurlant le plus vieux hurlement de la terre, torturées jusque dans leur âme. Le feu les étreignit encore pour quelques pas de valses forcée, riant de leur calvaire, avant de les rejeter sur l'herbe, tous leurs cris consumés, leurs faces noirâtres crispées dans un dernier rictus qui n'en finissait pas, bras repliés le long de leurs corps rongés jusqu'à la cendre. »
« S'il était irréel qu'une créature aussi raffinée que l'homme pût frire comme une côte de bœuf, le voir de ses propres yeux, c'était mordre par surprise dans le fruit de l'arbre de la connaissance. »
« Sa haute silhouette cassée par la scoliose transpirait la passion avaricieuse du pouvoir, l'ivresse de l'ascendant sur les autres, cette vengeance de son être contrefait réparant l'humiliation d'avoir été écartée de la vie mondaine qui lui était due. »
« Pour les hommes, le risque infectieux venait de la luxure. Pour les femmes, de ce christianisme qui ordonnait d'aimer les pauvres. Plus la peur des pauvres asphyxiait le haut de la société, creusant l'abîme entre les hôtels particuliers et les taudis, et plus l'injonction de charité se faisait impérieuse, tyrannique. »
Difficile de critiquer un tel ouvrage, il faut juste le lire :-)